Ce blog était au départ destiné aux étudiants du séminaire "Cinéma et cultures" de Master 1 (Médiation culturelle) de l'Université Paris III.
Il s'agit de résumés des cours séminaires donnés entre 2012 et 2014 à l'Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
Depuis octobre 2014, j'ai ajouté quelques notes sur des films projetés à l'Institut français du Royaume-Uni à Londres.
Bon parcours !
Rachel Mazuy

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Octobre de Sergueï Eisenstein (1927-1928)


Fiche méthode
Analyse d’une œuvre cinématographique

Octobre de Sergei Eisenstein (1927-1928).

Introduction – Problématique : Octobre, une œuvre entre novation cinématographique et propagande ?

Posez-vous différentes questions :
- Quel est le statut de l’artiste dans l’URSS de la fin des années vingt ? Comment la création est-elle encadrée ?
- La nécessité de faire une œuvre de propagande empêche-t-elle la naissance d’une véritable œuvre d’art ?
- Quelle est la position du pouvoir vis-à-vis du cinéma ?
- Quelle est la situation d’Eisenstein en 1928 ? Comment se situe-t-il dans l’avant-garde esthétique des années vingt ?
- Comment le film a-t-il été reçu en 1928 (par ses pairs, par le public, par le pouvoir) ?
- Quand et comment est-il devenu un classique du cinéma ?

Sur S.M.Eisenstein (notamment !). 
-François Albéra, Eisenstein et le constructivisme russe, L’Age d’homme, 1990 -Jacques Aumont, Montage Eisenstein, éditions Albatros, 1979 -Barthelemy Amengual, Que Viva Eisenstein !, Lausanne, l'Age d'Homme, 1981 -S.M Eisenstein, Au delà des étoiles, collection 10/18, n°896, 1974
-S.M Eisenstein, Le mouvement de l’art, éditions du Cerf, 1986 -Dominique Fernandez, Eisenstein, Paris, Grasset, 1973 -Natacha Laurent, Eisenstein, un cinéaste de génie au service de Staline, article dans la revue L’Histoire n° 243, pp 94-99, mai 2000 -Mitry Jean, Eisenstein, Editions universitaires, 1978 -Marie Seton, Eisenstein, Cinémathèque, 1957.
Sur Octobre :
-Octobre, S. M. Eisenstein, Points Seuil, 1971.
- http://www.dailymotion.com/video/xfb537_cours-de-cinema-octobre-d-eisenstei_shortfilms (un cours de Valérie Pozner au Forum des images).
Alexandre Sumpf, « Le public soviétique et Octobre d’Eisenstein : enquête sur une enquête », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 42 | 2004, mis en ligne le 09 janvier 2008, consulté le 11 novembre 2012. URL : http://1895.revues.org/275
Deux sites à explorer, avec de nombreux liens :
- www.edu.bifi.fr (site de la Bibliothèque du film , avec un dossier sur Eisenstein et une liste bibliographique sur Octobre
http://www.cinematheque.fr/sites-documentaires/eisenstein/rubrique/ressources-bibliographie-par-film.php?page=octobre-articles-sur-octobre&sm=3
- cinehig.clionautes (site particulièrement consacré aux rapports entre cinéma et histoire)


I. Une superproduction pour le jubilé du Xe anniversaire de la Révolution :
A. Eisenstein se voit confier comme d’autres réalisateurs, un film de propagande qui doit commémorer la Révolution d’Octobre :
1. Un film qui fait partie d’un processus commémoratif colossal : Eisenstein n’est pas le seul cinéaste à qui on commande un film et ces films commémoratifs ne sont pas les seules manifestations prévues pour l’anniversaire (manifestations de rues, décorations et manifestations dans les bâtiments officiels, dans les usines, pièces de théâtre, invitations d’un millier de délégués étrangers etc.).
Avec lui,
2. Pourquoi Eisenstein est-il demandé par le régime ?
En 1928, Eisenstein reste communiste, même s’il n’a jamais été membre du parti. Il a d’ailleurs fait précéder tous ses films précédents (et Octobre) par une citation de Lénine. Il est profondément en accord avec la vision du régime qui fait du cinéma un vecteur de la propagande communiste : « Notre cinéma est avant tout un outil pour ce qui est de son activité fondamentale – exercer une influence sur les gens, et rééduquer ».
Cependant, beaucoup plus intéressé par l’art, il n’a pas pris une part importante dans les événements de 1917, même s’il a participé à quelques manifestations, notamment pendant les journées de juillet contre le gouvernement du prince Lvov. Mais le jour où éclate la première révolution (celle de février), il va au théâtre et son activité politique a surtout constitué à publier des caricatures dans des journaux de Petrograd. Le 25 octobre 1927, jour où débute la seconde révolution il passe sa journée à classer ses notes (selon ses mémoires qu’il faut prendre avec précaution – il y a un certain dandysme intellectuel chez SME).
Envoyé au front en août 1917 avec la section de son école (Institut d’ingénierie civile), il s’engage ensuite dans l’Armée rouge de 1918 à 1920 (août).
Ses débuts d’artiste se font au théâtre comme décorateur (théâtre du Proletkult de Meyerhold), puis comme metteur en scène (Journal de Gloumov tourné pour la pièce d’Ostrovsky en 1923, stage de cinéma avec Koulechov et Vertov en 1921). Il participe alors à la revue LEF (publication de son article « le montage des attractions » en juin 1923.
Il tourne son premier film en 1924 (La Grève) et répond en 1925 à une commande du Goskino pour faire un film sur la Révolution de 1905 (Le Cuirassé Potemkine). Le film qui triomphe à Berlin au printemps 1926 est bientôt perçu comme un sommet de l’art d’avant-garde.
Sa notoriété après le succès mondial (plus que russe) du Cuirassé Potemkine en 1926, lui permet alors de devenir l’un des artistes les plus importants du nouveau régime. Il est donc parfaitement logique qu’il participe aux commémorations du Xe anniversaire, même si, dès 1926, il a commencé le tournage de La Ligne générale sur la paysannerie (le film sortira profondément remanié en 1929).

B. Une superproduction colossale qui répond aux impératifs idéologiques du nouveau régime :
1. Une œuvre qui s’inscrit dans un processus de construction du souvenir de la Révolution :
- Dès 1918, on célèbre Octobre 1917.
- Commémoration théâtrale d’octobre 1920
- Commémoration théâtrale d’Octobre 1927
 2. Une œuvre de commande avec des moyens gigantesques qui s’insère dans les commémorations du Xe anniversaire :
- 3 autres films ont été commandés à des artistes soviétiques :
+ Moscou en Octobre de Boris Barnet
+ Le Grand chemin (appelé aussi La Chute de la dynastie Romanov) d’Esther Choub (Esfir Shub)

+ La fin de Saint-Pétersbourg de Vselovod Poudovkine(Pudovkin)

- Une œuvre inspirée d’un roman de John Reed « Dix jours qui ébranlèrent le monde » même si Eisenstein couvre toute la période révolutionnaire (février-octobre). Il comptait même aller jusqu'à la fin de la guerre civile au départ. 

- Une œuvre dotée de moyens gigantesques tournée dans l’urgence en quelques semaines (débute en mars, même si le projet est annoncé dès 1926). Intense publicité autour du tournage (liste des articles de presse sur le site de la Cinémathèque française). 
  
2. Un film qui raconte février et octobre 1917 de manière à encenser le nouveau régime :
- Que s’est-il passé en octobre 1917 ? : un coup d’Etat qui s’est fait sans les « masses ».

- Octobre réécrit l’Histoire pour glorifier le nouveau régime : Lénine au coeur de la Révolution
 Ce montage est fait de trois scènes du film : Le discours de Lénine à la gare de Finlande - jusqu'à 1'27, le début de l'attaque du palais d'Hiver et le discours final de Lénine sur les décrets à la fin du film); 
les ennemis (ou anciens alliés déconsidérés) :
Les Mencheviks (vacuité de la parole) opposés aux Bolcheviks (dans l'action) : à partir de 7'; 
Kerenski fat et vain : la scène des marches

la foule actrice de l’histoire, la prise du Palais d'Hiver au coeur des événements.
L'attaque de la place (environ à 3', 3'40 le début de la scène de la grille). 

II. Un film « coup de poing » où Eisenstein approfondit encore ses recherches esthétiques
SME est un théoricien du cinéma (œuvre théorique importante, ouvrages, très nombreux articles, cours de mise en scène au VGIK dans les années trente où c’est sans doute le premier a analysé un film plan par plan en s’interrogeant sur le cadrage, le montage…). Peu de place pour l’improvisation.
A. Un cinéma « coup de poing » très contrôlé :
1. Le montage de attractions : 1923 (cf. cours précédent).
2. L’importance fondamentale du montage : le montage intellectuel dans Octobre.
- La théorie du « montage intellectuel »
- Dans Octobre, Eisenstein va privilégier les objets, aux personnages : cf. Kerenski associé à un paon, ou à une statue de Napoléon…
B. Une recherche esthétique qui aboutit à une désacralisation du pouvoir, tout en véhiculant des thématiques propres au cinéaste :
- La désacralisation du pouvoir : analyse de séquences :
+ La montée des marches de Kérensky : les titres (des intertitres de plus en plus importants, contrastent avec le sur place dans l’escalier de Kerenski). Vacuité de l’homme et orgueil.
+ La scène dans la chambre de la tsarine : (De 5'15 à 6'55)

L- L’importance de la sexualité et la misogynie dans Octobre
+ Les personnages féminins dans Octobre : une vision misogyne (la femme le plus souvent assimilée à la Contre-Révolution). 
                            Environ à 6'00 (les bourgeoises au parapluie - en fait un épisode de la Commune de Paris) :
La scène du billard avec le régiment des femmes assimilées à des lesbiennes peu séduisantes: 
Environ à 8'50. 
+ L’importance de la sexualité chez Eisenstein : Dans la scène de la chambre à coucher de la tsarine : la vierge Marie dénudée, le lit défoncé à coup de baïonnettes (figure de la mère autoritaire chez Eisenstein). On la retrouve dans La ligne générale (séquence du jaillissement de la crème de l’écrémeuse, métaphore de la Révolution).

III. Un film de propagande dont la recherche formelle est mal acceptée par le pouvoir et la critique soviétique, qui deviendra cependant par la suite un classique mondial :
A. 1928, date de sortie du film, est une année charnière pour les artistes soviétiques :
1. Une année charnière d’un point de vue politique et économique : élimination de Trotski (et des autres opposants) à Staline. Début de la collectivisation des terres et de la planification. 

2. Une mauvaise réception critique et gouvernementale :
- Staline à l'oeuvre pour éliminer Trotski dans le film (remplacé par Antonov dans le film) ? 
- En mars 1928, la Commission sur le cinéma du Parti critique le film pour formalisme. Il faut faire des films qui vont rapporter de l'argent et agir (propagande) sur les masses. 
- Les critiques : Poudovkine, Kroupskaïa, le LEF...L'esthétisme a éloigné le film de la "vérité politique" d'Octobre et a coûté cher. 

3. Une réception publique interrogée par le pouvoir : 
- Le questionnaire de la Commission d'étude du spectateur de mars 1933, reflet de l'évolution du rôle attribué au cinéma et de la représentation de 1917 par le public soviétique (elle reste encore non figée). 

B. Un film qui sera récupéré par d’autres artistes soviétiques et devient par la suite un classique mondial :
- Paradoxalement la vision d'Eisenstein va être reprise par d'autres réalisateurs, à un moment où cette représentation de la Révolution se fige. 
- Lénine est au centre de la Révolution dans les films réalistes socialistes (parfois avec Staline). La représentation est cette fois figée (selon la vision d'Eisenstein, mais sans les paris formels). Exemple de Lénine en Octobre (1938) de Mikhaïl Romm. On utilise comme chez SME des acteurs pour jouer Lénine. 

- Méme chose pour le rôle des masses : Scène de la grille copiée sur Eisenstein à 1'18. Vous pouvez regarder le film en ligne (en russe) sur : http://kinomusorka.ru/fr/directors-director-mikhail-romm-films-film-lenin-in-october.html ou en anglais à partir de http://fr.fulltv.tv/lenin-v-oktyabre.html ). 
- Une redécouverte en URSS avec la déstalinisation : (On fête le 6Oe anniversaire de sa naissance en 1958; rôle de Naum Kleiman). 
http://net-film.ru/film-4995/?search=p2 Un documentaire de 1958 - en russe, qui évoque Octobre sans parler de formalisme, mais reprend les deux thèmes de propagande : rôle de Lénine, rôle des masses dans l'attaque du Palais d'hiver. 
- Un classique mondial en France à partir des années soixante.